12 de enero de 2012

LA GRASSE MATINEÉ - Jacques Prévert (En francés y en castellano)


LA GRASSE MATINEÉ
(Levantarse antes de mediodía) de Jacques Prévert


Es terrible
El leve ruido del huevo duro al romperse sobre un mostrador de estaño
Es terrible ese ruido
Cuando resuena en la memoria del hombre que tiene hambre
Es terrible también la cabeza del hombre
La cabeza del hombre que tiene hambre
Cuando se mira a las seis de la mañana
En el cristal de la tienda
Una cabeza color polvo
No es a su cabeza, sin embargo, que él mira
En la vitrina de Casa Potin
No le importa su cabeza al hombre
No piensa en ella
Sueña
Imagina otra cabeza
Una cabeza de ternera, por ejemplo
Con una salsa a la vinagreta
O una cabeza de cualquier cosa que se coma
Y mueve suavemente la mandíbula
Suavemente    
Y rechina dientes suavemente
Porque el mundo se burla de él
Y él no puede nada contra ese mundo
Y cuenta con los dedos uno, dos, tres
Uno, dos tres
Hace tres días que no come
Por más que se repita desde hace tres días
Esto no puedo durar
Esto dura
Tres días
Tres noches
Sin comer
Y detrás de esos vidrios
Esos patés esas botellas esas conservas
Peces muertos protegidos por las latas
Latas protegidas por los vidrios
Vidrios protegidos por la policía
Policía protegida por el miedo
Cuántas barricadas para seis malditas sardinas...
Un poco más lejos, el café
Café con crema y croissants calientes
El hombre vacila
Y en el interior de su cabeza
Una neblina de palabras
Una neblina de palabras
Sardinas para comer
Huevo duro, café con crema
Café con gotas de ron
Café con crema
Café con crema
¡Café con crimen con gotas de sangre!...
Un hombre muy querido en su vecindario
Fue degollado en pleno día
El asesino, el vagabundo le robó
Dos francos
Que sea un café con gotas de ron
Cero francos setenta
Dos rebanadas de pan con mantequilla
Y veinticinco céntimos para la propina del joven
Es terrible
El leve ruido del huevo duro al romperse sobre un mostrador de estaño
Es terrible ese ruido
Cuando resuena en la memoria del hombre que tiene hambre.

JACQUES PRÉVERT
Poeta francés  (1900 - 1977) 

La grasse matinée (original, en francés)

Il est terrible
Le petit bruit de l'oeuf dur cassé sur un comptoir d'étain
Il est terrible ce bruit
Quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim
Elle est terrible aussi dans la tête de l'homme
La tête de l'homme qui a faim
Quand il se regarde à six heures du matin
Dans la glace du grand magasin
Une tête couleur de poussière
Ce n'est pas sa tête pourtant qu'il regarde
Dans la vitrine de chez Potin
Il s'en fout de sa tête l'homme
Il n'y pense pas
Il songe
Il imagine une autre tête
Une tête de veau par exemple
Avec une sauce de vinaigre
Ou une tête de n'importe quoi qui se mange
Et il remue doucement la mâchoire
Doucement
Et il grince des dents doucement
Car le monde se paye sa tête
Et il ne peut rien contre ce monde
Et il compte sur ses doigts un deux trois
Un deux trois
Cela fait trois jours qu'il n'a pas mangé
Et il a beau se répéter depuis trois jours
Ca ne peut pas durer
Ca dure
Trois jours
Trois nuits
Sans manger
Et derrière ces vitres
Ces pâtés ces bouteilles ces conserves
Poissons morts protégés par les boîtes
Boîtes protégées par les vitres
Vitres protégées par les flics
Flics protégés par la crainte
Que de barricades pour six malheureuses sardines..
Un peu plus loin le bistrot
Café-crême et croissants chauds
L'homme titube
Et dans l'intérieur de sa tête
Un brouillard de mots
Un brouillard de mots
Sardines à manger
Oeuf dur café-crème
Café arrosé rhum
Café-crème
Café-crème
Café-crime arrosé sang !...
Un homme très estimé dans son quartier
a été égorgé en plein jour
L'assassin le vagabond lui a volé
Deux francs
Soit un café arrosé
Zéro franc soixante-dix
Deux tartines beurrées
Et vingt-cinq centimes pour le pourboire du garçon.
Il est terrible
le petit bruit de l'oeuf dur
cassé sur un comptoir d'étain
il est terrible ce brui
tquand il remue dans la mémoire
de l'homme qui a faim.

JACQUES PRÉVERT
Poeta francés  (1900 - 1977)